Les chaises vides


 

L'église était pleine. Les gens se pressaient, debout, le long des allées. Robin était assis. Un rayon de soleil frôlait son épaule. Pour lui donner du courage. Curieusement les chaises autour de lui étaient inoccupées. Il sentait trop le chagrin. Il était sale. Tellement las. Une barbe de plusieurs jours. Le sourire épuisé. Le regard traversant les lourdes pierres  d'un pilier de nef. Protégé.  La musique des Pink Floyd au fond de l'oreille. Jusqu'au cerveau. En guise de morphine. Il avait tellement attendu ce jour. Il commençait seulement à douter du bien fondé de son désir. A augurer de la vanité de sa fuite. Il revenait lentement. Avec mille précautions paranoïdes. Assis entre deux chaises.

Et  son père est mort. Hier, peut-être.

Aujourd'hui, l'enterrement. Il s'est moqué de Robin. Une dernière fois. L'a regardé s'empêtrer dans la confusion de ses sentiments. Est mort.

Au jeu des chaises musicales qu'avait mis en place le nouveau gouvernement, son père avait perdu.

Monsieur le maire était là. Et sa femme.

Monsieur le Préfet était là. Et sa femme.

Monsieur le Ministre de l'Armée. Il n'a pas de femme. Ou c'est l'Armée.

Les visons étaient là. Et les nœuds papillons.

Les voisins étaient là. Et les curieux.

La famille était là. Et Camille.

La presse était là, là et là.

Camille avait hésité avant de le reconnaître. Ses yeux étaient rougis par les kleenex. Son chagrin  silencieux. Les larmes coulaient. Elle les essuyait. Ce qui rendait son visage un peu plus ingrat. Camille n'avait jamais été une belle femme. Ni jolie. C'était une brune aux sourcils épais. Elle soulignait de violet sa grande bouche aux lèvres fines. Elle présentait un fin profil de rapace accentué par le vert de ses yeux enfoncés. Le deuil rendait son teint blafard. Pourtant Robin l’avait toujours trouvée à son goût.

Il la vit s'approcher alors que la musique accompagnant le cercueil émettait ses premières notes.

Elle esquissa une grimace. Elle était atteinte par l'odeur.

 

-  Désolé ! grogna-t-il

-  On en parle après la cérémonie ? Je voudrais te voir en dehors de tout ça. Ne me dis pas non ! supplia-t-elle dans un souffle

Il la regarda, étranger à son désir. Elle restait à deux chaises de lui. Silhouette frêle et hésitante

-   Peut-être ! si tu me payes un coup ! lui lança-t-il à voix haute. Il reçut la désapprobation des regards.

Un temps de réflexion. Elle ne savait plus si elle en avait envie. Elle lui tourna le dos. Revint.

-   D'accord ! On se retrouve au café Mignon. Tu te rappelles ?

Le cercueil était arrivé près du chœur. La musique s'était tue. Tout le monde s'était levé.

Il acquiesça de la tête. Se leva à son tour. Se fraya un passage. Sortit.

 

Qu'est-ce qu'il était venu faire dans cette galère ?

Quand il avait appris la mort de son père. Par les journaux. Il n'avait pas hésité une seconde.

C'est au bistrot où il prenait son café. Comme tous les matins. Qu'il l'avait lu. Dans la Marseillaise. Il avait été pétrifié. Son père. Ce salaud. Même pas immortel.

Toutes sortes de fantômes du passé  ressurgirent.

Avant que de mener une vie de barreau de chaise, Robin avait été un enfant sans histoire. Littéralement.

Sa famille ? Plus qu'aisée. De ces familles que l'on retrouve sur la toile dans le monde  de Bergman. Argent, culture et névrose. Quatre enfants, un garçon. Né trop tôt. Il avait fait marier ses parents. Son père, notaire florissant, s'était lancé dans la politique locale. Mairie, Conseil Général, Sénat.  Sa mère, froide, distante, auréolée d'un certain mystère.

Robin apprit lentement la folie de sa mère. Elle s'était distillée sournoisement dans le quotidien des enfants. Le jour de ses seize ans il avait quitté le lycée privé dans lequel il faisait des études brillantes et était parti travailler au pair à Londres. Son père avait pris le temps de l'y rejoindre. La discussion avait été violente, le retour impossible. Son père lui avait ouvert un compte. Il le couvrait jusqu'à sa majorité, à hauteur d'un loyer décent pour un F3 à Londres.

Au début, il était retourné régulièrement dans sa ville natale. Il prenait des nouvelles auprès de Camille. Elle était le seul lien qui lui restait avec la famille. Ils se donnaient rendez-vous dans un « boui boui crado » où ils étaient certains de n'y rencontrer aucune de leurs connaissances. Le café Mignon. La folie de sa mère était devenue patente. Elle passait la journée dans une chaise longue épuisée par un monologue incessant qui la tenait éveillée. Son père était essentiellement absent. Politique oblige. Camille avait recruté une étudiante pour s'occuper de sa sœur pendant les heures d'ouverture de la galerie. Elle prenait le relais dès que possible. Les filles étaient montées à Paris. Elles y menaient des études convenables.

 

Robin revenait toujours très abîmé de ces retours aux sources. Il en avait espacé la fréquence. Il se consolait avec diverses substances. L'alcool n'était pas la moindre.

 

  à suivre...

 

 

 


 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :