Rabat-joie

Chorégraphie au seuil de la médina

Elle, la casaque printanière, Sybille confiante des jours qui s’étirent, elle entre.

Lui, la désinvolture feinte, démiurge du froid et de l’obscurité, il sort. 

La kasbah domine le fleuve. Murailles ocre rouge, murs blancs d’élégantes demeures à la patine aveuglante, ruelles soulignées du bleu Klein. Patchwork de couleurs éclatantes.

Elle, elle cherche la douceur. Elle cherche la fraîcheur.  Jardin des Oudayas. Le mot lui plait. Jardin andalous. La distance est moindre.

Une porte discrète. Magnifique. Elle s’arrête

Dans le dédale des venelles de la Médina elle suit son instinct. Se côtoient la blessure des chats et celle des hommes. La fragrance des épices fait le lien.

Elle s’imagine, grain de silice aux éclats clignotant, suivre les méandres lapis lazuli d’une mosaïque. De celles qui bordent les portes entrouvertes sur la tentation

Elle jete un œil dans l’échoppe du coiffeur. Il est là. A l’aise, une serviette éponge couvrant les épaules. Elle l’avait suivi. C’était à cause de sa chemise vert-pomme. Et peut être aussi parce qu’il est beau. L’icône de l’éphèbe marocain. Il se glissait dans la foule au rythme de la musique collée à ses oreilles. Puis elle l’a perdu. Elle le veut. En photo. Telle Perette et son pot au lait elle a déjà clos son article. Il en est l’illustration parfaite. Ce jour-là elle parcourt toutes les voies de la Médina à sa recherche.

Et il est là. C’était comme s’il avait su. Comme s’il avait choisi le lieu.

Elle, sort son Nikon, lui, son sourire. . .

Conquête d’un univers entrevu depuis le hublot de l’avion.

Engloutie dans ces yeux sombres. Cadeau.

Tout devient saisissable.

Labass ?

L’oiseau s’étire et baille

« Le jeune homme dont l’œil est brillant, la peau brune,

Le beau corps de vingt ans qui devrait aller nu,

Et qu’eût, le front cerclé de cuivre, sous la lune

Adoré, dans la Perse un Génie inconnu »

Il s’appele Tasnîm

Le modèle se fait guide.

Ils vont parcourir l’envers du décor

La caverne d’Ali baba se couvre de bémols. Sur les maroquins séchés les savoir-faire deviennent vains. Ils vont jusqu’à l’océan. Il lui sourit. Son regard se porte sur le dernier rouleau entré dans l’anse formée par les digues. Des surfeurs le chevauchent jusqu’à ce qu’il cède et vienne s’excuser platement sur la plage.

A quand la révolte ?

Le temps suspendu. Les forteresses fissurées. Désirs – failles en crue

A la Bastille la clameur monte pour un  « printemps des peuples ».

Ils grimpent lentement  le long des rues de la kasbah. Alignement de  potiches au gré du rayonnement solaire.

Il lui dit « ne te fie pas au théâtre de la ville »

Les bouquinistes en cité noient leur amertume dans la douceur des oranges que le paysan démuni cueille au-delà des murs. Il se murmure des soubresauts.

Il lui apprend comment dire bienvenue en arabe

Elle entend les trémolos de l’impatience

Elle ne lui jettera pas l’anathème. Il est tellement son pays. Enivrant de beauté. Chaleureux. Inquiet.

Il sait un monde où l’action n’est pas la sœur du rêve. Il veut en découdre.

Sous le soleil de midi, se joue une symphonie à deux voix. Volupté de la connivence.

Le vent du large rafraîchit les promesses.

Dans la cour le jet d’eau qui jase  (Baudelaire)

Tasnîm , source d’eau paradisiaque. Les cigognes valsent entre les nuages.

Deux enfants errent parmi les zelliges, juste le temps d’une pellicule. Juste le temps de la séduction.

Il n’en reste qu’un champ de regrets dressés sous une pluie de lumières blanches.

La fulgurance d’un rêve trop tôt pétrifiée  

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